Des coquelicots pour Kobané

Des coquelicots pour Kobané

Jérôme Bergami, 11 Oct, 2014

Qu’il flotte, le drapeau turc,
planté haut et large au sommet des éminences qui jalonnent le paysage.
De véritables champs de coquelicots tapissant l’horizon, que le vent anime de drapés majestueux. Tout ce rouge! Ça vous éclabousse le ciel.
Que dit le drapeau? Il dit : « Ça, c’est à moi… et ça aussi, et ça avec. » Autrement dit : à moi, peuple! qui au pied du drapeau pousse.
« C’est a moi et je ne prête pas », dit le peuple.
L’enfant, qu’on emmaillote, connaît cette phase d’égoïsme forcené où il se convainc que le monde lui appartient. Les pédopsychiatres assurent qu’elle passe. Le peuple, qui s’endrapote, apporte la preuve du contraire: elle perdure. Enfle. Se crispe. Elle s’explique aussi car posséder, c’est vouloir candidement conjurer la mort. Et l’enfant comme le peuple ne sont exempts ni de cette tentation ni de cette candeur.

Douceur d’une famille, chaleur d’un foyer.
A la télévision défilent ces images : nuages de fumée sur la ville de Kobané, tirs de mortiers, bals des hélicos, mouvements paniques ; affrontements a Istanbul, fusillades rue a rue; discours du premier ministre turc, Recep Erdoğan.
Douceur d’une famille, chaleur d’un foyer.
Hélas, je ne comprends pas : Kobané a-t-elle été prise par les djihadistes ou bien les milices kurdes résistent-elles encore? Ces scènes de guérillas urbaines dans un quartier d’Istanbul sont-elles l’écho de colère des Kurdes face a la pusillanimité du gouvernement turc à envoyer des troupes pour défendre la ville assiégée? Et Erdoğan, que dit-il devant ce parterre de technocrates cravatés qui, sans conviction, l’applaudissent au détour d’une inflexion?
Douceur d’une famille. Chaleur d’un foyer.
La théière fume sur la plaque en fonte du soba. Hali tire sur sa cigarette, assis en tailleur sur le canapé. Ömer, son fils s’amuse à porter le sac à dos de Sabina, tandis que Tüba, sa sœur, charge sur son ordinateur les photos que nous avons prises de leur grand-mère. Dans la cuisine, Zinep prépare le dîner. Pourtant je ne comprends rien. A mille cinq cents kilomètres de notre havre, les sirènes des ambulances, les hurlements, les morts, la guerre dans toute sa cruauté. Hali tente de m’expliquer les images qui continuent de défiler. Puis il zappe – football : Turquie-Tchéquie. Plus simple à décrypter.
Dehors, l’automne fait légèrement siffler les vitres du salon. Les feuilles bleutées du grand olivier qui s’élève dans la cour frissonnent.
Kobané résonne dans ma tête.