Les funambules

Les funambules

Jérôme Bergami, 29 avril, 2016

L'exploit, ce ne seront pas les kilomètres, les pays, les peuples, les cultures, parcourus, traversés, embrassés, les intempéries, les douleurs, les fatigues, le manque d'argent.
L'exploit, ce sera d'arriver ensemble. Toi et moi main dans la main.

Combien de fois as-tu pleuré?
Combien de fois t'es-tu relevée?

Je me suis souvent demandé si le sentiment que j'éprouvais pour toi, ma femme, s'appellait honnêtement Amour, ou s'il s'agissait plus d'une vengeance enrobée d'amour. Une vengeance qui consisterait à te faire payer , au prix de la longue marche, ce que moi-même me suis révélé incapable de régler. Mon ardoise personnelle. Je ne délégue pas beaucoup au quotidien, mais pour l'ardoise, je sais faire exception.

Par deux fois, ton sac était prêt : en Géorgie, chez notre amie Bella, le lendemain de ton anniversaire ; et plus tard, en Arménie, dans un hôtel de Khapan. A deux doigts de te faire la malle. De renoncer. De nous dire "non". De te libérer.
De mon côté, j'ignore le choffre exacte, mais sans matériellement ramaser mon paquetage, j'ai dû te quitter des dizaines de fois, tout plaquer, te laisser là, te planter au bord de la route. La tienne, d'ardoise, n'est pas mal non plus, dans son genre. Je paye quoi, moi, au juste? Car la note est lourde, parfois.
Nous sommes des vengeurs qui avons avancé masqués mais qui parvenus au terme de la voie périlleuse laissent apparaître le vrai visage, le juste regard dans le visage et le regard de l'autre.

L'exploit, ce ne seront pas les chiens, la neige, le vent, tous ces hommes, ces femmes et ces enfants salués, étreints, rejetés. L'exploit, quand nous poserons le pied ultime, ce sera de te voir à mes côtés et de sentir la chaleur de ton sang couler dans ma chaleur. Il y aura ce jour-là un Soleil victorieux, l'Empire du Milieu, et Nous comme deux funambules posés entre les deux.

Il n'y a plus rien à payer. Nous pouvons grandir.
Je t'aime.