L'autre

L'autre

Jérôme Bergami, 05 juin, 2015

Un soir menés en fourgonnette de la gendarmerie
Un autre accueillis dans une mosquée par le hodja
Un soir reçus dans la cabane du berger
Un autre dans le bâtiment des ouvriers
Et tous les jours sur la route, à pousser sur nos pieds, à compter les kilomètres, à observer les mouvements des nuages ; et tous les jours en nous-mêmes, à se demander pourquoi on fait ça, pourquoi on le veut, si on n’est pas fous, ou perdus, ou héroïques ; en nous-mêmes, à revoir notre vie, sous différents angles, sous d’autres perspectives, à repenser des évènements, à remâcher des épisodes ; en nous-mêmes à divaguer, à rêvasser, et parfois à comprendre, à corriger, à sentir un progrès, une poussée, du solide, du fiable.
Et tous les jours à regarder l’autre à nos côtés comme un ovni et à s’interroger sur ses raisons à lui pour nous accompagner dans cette aventure. Certainement qu’il est aussi malade, certainement que lui aussi à ses trous dans sa vie et ses comptes à régler. On se dit qu’on ne peut pas vouloir se lancer, s’engager à ce point sans y être forcé. Forcé par qui ? Quelle est la main qui le pousse, cet autre qui ahane à mon égal sous son fardeau ? Cette main est la sienne, à la fois tortionnaire et alliée, et je la tiens, elle est chaude, le sang y circule. Cependant le mystère reste intact, l’autre demeure son seul et unique juge. Et…

Et c’est parti pour quarante bornes
Après ça toi tu t’étonnes
Que sous nos pieds y ait que d’la corne
Et dans notre cœur un gros chagrin  

Faudrait pas qu’on en fasse des tonnes
Sans être ailés comme des licornes
Nous sur l’asphalte c’est fou s’qu’on donne
On s’demande même où sont les freins  

Et quand j’te regarde en train de peiner
Avec ta sueur sous ton p’tit nez
Tes joues comme deux beaux hortensias
Et l’vent qui souffle sous ton bonnet  

Et qu’tes yeux brillent comme deux camées
Alors moi j’tombe, tu m’as cramé
Au grand soleil du : « Il n’y a
Que toi vraiment que j'veux aimer »  

On ira très loin, au bout du monde
A coups de bâtons, à coups d’jurons
On en est deux qui aiment la fronde
Deux qui n’comptent pas ce qu’ils dur’ront