L'âge d'or du Gügor
Jérôme Bergami, Sep 20, 2014
Venant de Şahin, c’est par le nord, par le quartier gitan qu’on arrive à Malkara; le long d’une rue défoncée, des maisons de poupées qui s’alignent, mais de bric et de broc les poupées, et bien branlantes; et sur les murs quelques couleurs, ou ce qu’il en reste – des souvenirs de couleurs, probablement un adieu; dans les courettes quantité de linge à sécher, des enfants qui jouent sur des fauteuils éventrés, des hommes qui bricolent, des femmes qui brossent, rigolent et nous invitent à les rejoindre.
Progressant plus avant dans la rue, on a tôt fait d’atteindre le merkez, la place centrale. Du troisième étage de l’hôtel Gügör (qui connut autrefois son âge d’or, somme toute relatif: deux salons jouxtent le petit comptoir de la réception, mais celui que décore une jolie fontaine bleue et blanche fait désormais office de buanderie; dans l’autre sont suspendus des portraits du père fondateur de la Turquie moderne, Atatürk, en tenue de Maréchal. D’autres portraits et photographies en tous genres, dans leurs encadrements poussiéreux, sont entreposés dans un couloir parmi meubles, bibelots et fils électriques. L’établissement est-il en cours de rénovation ou d’abandon? Les plafonds qui crèvent par endroits, les revêtements au sol mi-moquette mi-béton, les bâches bleues tendues ici et là nous autorisent à poser la question. Cependant, les chambres qui sont encore en service sont propres, spacieuses et toutes dotées d’une salle de bain. A noter encore la présence fonctionnelle d’un ascenseur), rien n’empêche d’inviter la mosquée à danser, quelque chose collé-serré, un zouké-zouké, tant l’on se trouve en contact rapproché.
Derrière le merkez, la ville continue de descendre par quelques rues alambiquées, le panorama s’ouvre sur la plaine et une succession de collines mollement étirées vient clore l’horizon. La mer est encore assez loin, mais l’on se plaît a l’humer sous les étoiles de septembre.Malkara est l’une de ces villes à l’urbanisme décousu, à l’architecture méli-mélo. On ne brille pas à Malkara mais on y vit, bien modestement.
Des tables à dominos, des sardines grillées enveloppées dans du papier journal qu’on déguste sur le coin d’une table, le boucher qui se balade en tablier, des palabres à l’ombre de la mosquée : on n’y chercherait en vain un Topkapi ou des jardins de Versailles. Fort bien : il y a bien plus d’humanité a l’intérieur d’une échoppe mal fagotée que dans les marbres d’un palais.Â
Ils en montent des drôles d’engins, les gitans. Des choses hybrides qui pétaradent du tonnerre : moteur de tracteur monté sur carriole rehaussée de pneus tout terrain. Ils y entassent du vieux mobilier, de la ferraille, de la pastèque, de la famille, et tout ensemble.
Abandon du chemin des écoliers et retour sur la Via Egnatia – 2X2 voies avec large bande d’arrêt d’urgence pour nous permettre de papoter côte a côte. Aucun ennemi canin a l’horizon (chiens de berger et de ferme, nous avons essuyé hier moult attaques). Ciel couvert, risque d’averse. Un panneau indique: Istanbul 177 km. A allure raisonnable, nous pouvons espérer y être pour ma Saint.