Et encore, rien n'est sûr

Et encore, rien n'est sûr

Jérôme Bergami, Jun 10, 2015

Et si je vous dis qu’à la fin une montagne, c’est une montagne,
un ruisseau un ruisseau, un berger, un berger, un village rien d’autre qu’un village, une lune qui monte rien de plus qu’une lune qui monte, et qu’à la fin tout se ressemble, que tout se vaut, ici et ailleurs : qu’une tête de Turc est égale à toutes les autres, vous en avez vu une, vous les avez toutes vues ; qu’il n’y a rien de différent, que partout est identique à ici, et que penser autrement est un jeu, un plaisir de l’esprit, comme une marotte intellectuelle pour s’efforcer à continuer. Moi, je peux vous le dire : une ruine, c’est une ruine, une station essence, rien à signaler, semblable en tout lieu, une famille, eh quoi ! papa, maman et les enfants, un rat crevé dans un fossé, un rat crevé et quel que soit le fossé, à Mexico, Mogadiscio, San Francisco ou Toronto, d’un lassant, d’un ennui… un arbre un arbre, un abruti un abruti, une église, une mosquée, un temple, une synagogue, vous vous êtes extasié une fois, deux fois, et après, vous avez l’air malin la bouche ouverte…

On le répète assez souvent en route :
Dieu, c’est Dieu, y en a qu’un seul, et pour tout le monde, et Dieu est identique à lui-même. N’allons pas lui coller des drôles de noms, lui ajouter barbe ou dreadlocks pour nous distinguer : Dieu, c’est Dieu. Et faut pas compter sur lui pour nous distraire. La seule différence qui subsisterait, peut-être, et encore, rien n’est sûr, mais qui vaudrait la peine de suer à avancer, elle serait alors dans les mots. Dans les mots pour le dire. Les mots sentis, véhiculés, pour animer tout ce gros tas de semblables que sont gens et choses du monde. Il n’y aurait qu’eux pour en magnifier la face, pour la sauver. Je ne sais qu’eux capable de travailler, parce qu’il la contienne, la différence. L’expression du monde pourrait peut-être, et encore rien n’est certain, passer toute par le filtre des mots.
Des mots pour le vivre, le monde, car somme toute il le mérite, qu’on s’intéresse à lui, au plus près de ses différences.