Les ordures

Les ordures

Jérôme Bergami, 20 juill, 2015

Ne sont pas celles que l’on croit.
Le sac plastique n’est pas responsable de l’endroit où il choira. Ni la bouteille de bière, ni la canette de soda. Crier haro sur les papiers gras pour le trottoir ou le parterre qu'ils jonchent, la rive ou le pré qu'ils souillent n'est pas très sérieux. Idem concernant les textiles, les croquenots, les sachets de lessive, les tubes de crême, les serviettes hygiéniques : les condamner ne revêt aucun sens. Pas plus tout du moins que n'en aurait de jeter l'anathème sur le pneu, la batterie, la jante, l'huile de vidange, le frigidaire, le matelas dont dégorgent les ravines.
Aucune de ces pauvre choses n'a pu avoir par elle-même, il me semble, l'idée d'achever ses fonctions ailleurs que là où l'intérêt de tous leur désignait d'aller. Affirmer le contraire tiendrait du procès d'intention, et je pense pas qu'il soit à notre avantage d'user de ce type de filouterie intellectuelle… Inutile d'être né en bord de mer pour ne pas douter que la destinée d'une boîte de conserve ne soit pas de fournir à la fin un refuge aux crabes ; comme il est inutile d'être de la campagne pour envisager qu'un poste de télévision n'a absolument rien à faire à giser dans un fossé.
Ne nous montrons pas plus bêtes que nous aimerions l'être. Nous connaissons la place que doivent censément occuper les ingrédients de notre vie quotidienne pour qu'ils nous soient exactement utiles. Est-ce qu'un seau de peinture est utile dans un fossé? Une éponge? Une serpillère? Une brosse à dent? Vous apercevez une tonne de papier-cul en train de faire bronzette sur les berges d'un cours d'eau et vous ne vous demandez pas un seul instant si les locaux ne connaissent pas un sérieux problème, soit de transit, soit de water-closet, soit plus probablement de ramolissement du cerveau!
Hier, c’étaient deux gamins qui tiraient derrière eux un gros sac de déchets qu'ils ont déversé sans état d'âme sur la pente menant à la rivière – mais les enfants, ô Innocence, ne font que reproduire ce qu'ils voient ; ce matin, ce sont deux militaires qui me désigne tout naturellement le premier buisson venu pour y déposer mon sac poubelle. Tous les jours, ces gestes d'irrespect à l'égard de notre Nourricière, tous les jours cette cruauté crasseuse, ce mépris masochiste : ce suicide inconscient.
Non, à y regarder de plus près, les ordures ne sont pas celles que l'on croit.